Qu’il soit question de romans ou de nouvelles, Franz Bartelt est un auteur qui manie l’humour noir et le comique de situation avec un grand talent. Quel que soit le sujet de ses histoires, il réussit toujours à trouver l’angle d’attaque, le ton juste et ce qu’il faut de décalage pour ne pas sombrer dans le pathos ou le graveleux. Son œuvre est tout à fait originale et sans concession. A lire absolument !
Le jardin du bossu de Franz Bartelt
Editions Gallimard/Collection Folio Policier
« Il était là, le con ! Entouré d’une flopée d’ivrognes encore plus saouls que lui. Je ne l’avais jamais vu en ville. J’ai demandé au Gus qui c’était il n’en savait rien. J’ai recommandé une bière. Le type se vantait. Il ne parlait que de son pognon. Il en avait, puisqu’il payait les tournées en sortant de sa poche des poignées de billets. Il refusait la monnaie. Il s’y croyait. Le con. Ah le con ! Le Gus m’a dit qu’il était déjà saoul en arrivant. Il avait touché la paie ou quoi ? Il buvait du blanc limé. De temps en temps, il se levait et chantait une connerie. Il y a connerie et connerie. Les siennes c’était des conneries de l’ancien temps. On n’y comprenait rien. Des histoires de drap du dessous, que c’est celui qui prend tout. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il retombait sur sa chaise, comme un sac. Il se remettait à parler de son pognon. Il en avait des tas. Stocké dans le tiroir de la salle à manger. Tout en liquide.
-T’as pas peur de te faire attaquer ? a demandé un des gars. »
Comment passer de la brève de comptoir à un huis-clos complètement délirant ? Et bien il faut une plume bien affûtée comme l’est celle de Franz Bartelt.
Le narrateur, un dilettante qui se pique de philosophie, va suivre un type rencontré dans un bar et voir sa vie basculer d’une bien étrange façon. Pourquoi va-t-il suivre ce type ? Tout simplement parce que celui-ci, saoul comme un cochon, s’est vanté au café d’être l’heureux possesseur d’une véritable fortune et d’en avoir chez lui, plein les tiroirs. Le gars perçoit le vol facile, la possibilité de rentrer à nouveau chez lui et d’en mettre plein la vue à Karine, sa vénale compagne, qui vient de l’éjecter de l’appartement commun le matin même pour cause de grande disette, le sommant de ne revenir à la maison qu’une fois la solution trouvée à leur manque d’argent endémique. L’aubaine est trop belle, et le héros voit là l’occasion de s’enrichir à moindre effort et de reconquérir le cœur de la belle, dont la libido est proportionnelle à la somme d’argent présente sur le compte en banque. Mais évidemment rien ne se passe comme prévu. Si mettre main basse sur le magot pendant que l’ivrogne cuve son alcool est chose aisée, il en va tout à fait autrement lorsque celui-ci se réveille…
Le scénario tourne au cauchemar quand le maître de maison va décider de le séquestrer, et surtout lorsque le jeune homme va se rendre compte que tout avait été prévu pour l’accueillir. S’en suit une étrange relation entre le bourreau et la victime. La situation pour le moins préoccupante va devenir inquiétante car le geôlier à des sautes d’humeur et le séquestré, comme il se doit, des envies de liberté. Les choses vont basculer dans la folie au moment où le narrateur va se rendre compte que l’homme à la triste habitude de garder indéfiniment ses « invités » et de les entasser dans les entrailles de sa maison.
Voici un polar absolument jubilatoire. La chute de l’histoire est tout bonnement incroyable. Franz Bartelt frôle le génie lorsqu’il s’agit de retournement de situation. Avec lui ne vous laissez jamais aller à vous fier aux apparences, il n’a pas son pareil pour dérouler des histoires avec des gens ordinaires qui se retrouvent dans des situations ubuesques.
Parler d’humour ici est un doux euphémisme, ce roman est complètement déjanté ! Franz Bartelt nous embarque dans un récit surréaliste. Il n’y a pas vraiment de suspens si ce n’est l’attente des décisions délirantes du geôlier. Le plus étrange est qu’une amitié bizarre mais réelle va naitre entre les deux hommes.
Ce roman est un petit bijou de noirceur avec des situations cocasses et un auteur qui vous mène par le bout de sa plume et va vous laisser complètement scié par la chute de l’histoire. Une impression de s’être fait balader tout le temps mais de façon tellement distrayante qu’on lui pardonne volontiers et même, si vous voulez tout savoir…on en redemande ! Du grand Art !
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Le testament américain de Franz Bartelt
Editions Gallimard
Le village de Neuville s’enorgueillit d’avoir vu naître, à la faveur d’un accident d’avion, l’illustre Clébac Darouin, milliardaire américain. Celui-ci est resté reconnaissant à ce coin de campagne de lui avoir permis de voir le jour, et il inonde le bourg de ses bienfaits. Son dernier cadeau est le plus somptueux : il offre par testament aux Neuvillois un cimetière hors normes. Chaque habitant y aura sa tombe, vaste comme une maison. La cité funéraire se bâtit à l’abrie de murs, et chacun y a son petit palais de marbre. Le nouveau cimetière va bientôt attirer les journalistes (dont la jeune et trop excitante Anne-Marie), mais aussi quelques complications inattendues…
C’est un fait, certain écrivain ont une imagination débordante, celle de Franz Bartelt dépasse l’entendement…Mais ou diantre va-t-il chercher ses histoires ? C’est très drôle mais si on y regarde de plus près tout est assez sordide. Entre les mariages consanguins, le Maire par intérim plus proche de l’idiot du village, les veuves joyeusement lubriques, une jeune femme sur le point de se marier mais qui continue à coucher avec son père « parce que c’est une tradition dans la famille », un autre qui met de la saucisse en bouteille…certains sont bêtes à manger du foin, d’autres roublards…on ne sait que choisir. Les médias en prennent aussi pour leur grade avec la sulfureuse Anne-Marie Mingue qui est prête à tout pour un scoop et qui « pratique la fellation avec ce sang froid qui caractérise les gens de métier ».
Tout ce petit monde va sombrer dans une folie douce-amère lorsque le milliardaire américain Clébac Darouin (quel nom !) passe l’arme à gauche et dote le village de Neuville d’un cimetière ultra chic ou chaque habitant aura sa tombe. Tombes qui se trouvent être de véritables palais, surement plus agréables à vivre que les trois quart des maisons de Neuville qui tombent en ruines. Bientôt les gens du village viendront y habiter bien avant leurs décès et l’étrangeté de demeurer dans un lieu qui malgré tout est voué à la mort, va déclencher des comportements insolites…et la vie ne sera plus la même.
Il y a du Marcel Aymé avec sa « Jument verte » dans cette histoire. C’est férocement drôle, les hommes sont un peu crétins et les femmes ont une libido débordante. D’ailleurs au passage, les âmes prudes vont rougir jusqu’aux oreilles car l’auteur se délecte à raconter les turpitudes sexuelles de tout ce petit monde.
Je ne sais pas comment fait cet auteur pour se renouveler à ce point à chaque roman…le talent sans doute. Une écriture audacieuse, truculente, grivoises et surprenante. Un roman haut en couleur, à l’humour décapant, délicieusement taquin et gauloisement érotique. Un roman qui fait un pied de nez à la sinistrose ambiante, une écriture belle mais qui ne se prend pas au sérieux…Quelle bouffée d’air !
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